dimanche 18 décembre 2016

L'écriture et Jean-Philippe Jaworski


Cette interview de Jean-Philippe Jaworski a été réalisée dans le cadre du projet « Le printemps des jeunes reporters » organisé par l’association Génération Écriture

A l'occasion de cette fin d'année, j'ai décidé de vous la partager ici, et je remercie encore une fois monsieur Jaworski d'avoir bien voulu y participer.

Gagner la guerre n’est pas votre première œuvre publiée, vous aviez déjà écrit Janua vera : Récits du Vieux Royaume, qui est un recueil de nouvelles. Comment s’est faite cette transition entre la nouvelle et le roman ?

JPJ : Quand j'ai commencé à soumettre le manuscrit de Janua vera à des éditeurs, je me suis dit que ma proposition serait plus convaincante si elle était accompagnée par le projet d'un second livre dans le même univers. Un roman, de surcroît, se vend beaucoup mieux qu'un recueil de nouvelles. C'est pourquoi j'ai envisagé l'écriture d'un roman.

Parlez-nous des origines de Gagner la Guerre, comment vous est venue l’idée pour ce roman ? Avez-vous tout d’abord songé à la trame de fond ou aux personnages ?

JPJ : Le Vieux Royaume pré-existait aux livres puisqu'il s'agit à l'origine d'un background de jeu de rôle. Dans l'univers de jeu, conçu comme un espace rempli de références dérivées de l'Europe médiévale et de la Renaissance, il me fallait un pôle de civilisation et de corruption. C'est ce besoin qui a donné naissance à Ciudalia, inspirée des grandes républiques italiennes de la fin du Moyen Âge. Quelques années plus tard, quand j'ai entrepris un roman après avoir écrit Janua vera, j'ai sondé mes premiers lecteurs pour connaître leur nouvelle préférée du recueil. Mauvaise donne et Le conte de Suzelle arrivaient à peu près ex aequo, mais comme il m'était difficile de reprendre le personnage de Suzelle, Benvenuto, le Podestat et Sassanos se sont imposés par élimination. Avec de tels personnages et un cadre comme la République de Ciudalia, l'idée m'est venue très vite d'écrire l'illustration fantasy de la pensée de Nicolas Machiavel.


Comment s’est déroulée la phase de rédaction ? Et, d’une façon plus générale, de quelle façon parvenez-vous à faire coïncider votre travail, vos obligations de la vie quotidienne et l’écriture ?

JPJ : J'ai redécouvert récemment que les brouillons des premières pages du roman remontaient à 2004. Je ne m'en souvenais plus, croyant avoir commencé le roman en 2005. En fait, 2004 a été pour moi une année très dure, touchée par plusieurs deuils et par un problème de santé relativement grave, ce qui fait que j'ai interrompu le roman ébauché pendant un an. L'essentiel du texte a été écrit entre fin 2005 et fin 2008. Mon éditeur ayant avancé la remise du manuscrit d'un mois et demi pour pouvoir bénéficier d'une subvention, j'ai dû abattre un travail énorme à l'automne 2008 – et pour avoir trop fixé mon écran d'ordinateur, j'ai eu droit à une rééducation opthalmique de six semaines début 2009…

Je ne suis pas mécontent que vous posiez la question sur la façon dont je fais coïncider l'écriture avec une vie par ailleurs tout à fait ordinaire – c'est-à-dire un poste à temps complet en cycle terminal au lycée et des obligations familiales. La réponse est toute simple : je ruine lentement mais sûrement ma santé. Travail en flux tendu, stress permanent, pas de réelles vacances depuis 2010. Je suis flatté de lire ou d'entendre ici où là certains lecteurs se plaindre du temps que je mets à écrire mes livres, parce qu'ils lisent très vite ceux qui sont sortis. Toutefois, à moins que l'auteur ne soit un génie – ce que je suis très loin d'être – il y a un paradoxe qui veut que plus un livre se dévore vite, plus il a mis de temps à s'écrire. Ce temps, je le prends sur mon sommeil, mes loisirs, mes vacances.

On retrouve dans votre roman une trame complexe et des descriptions détaillées qui donnent une véritable impression d’authenticité. Vous êtes-vous inspirés de périodes ou d’évènements historiques pour bâtir cet univers ?

JPJ : Pour l'écriture de Gagner la guerre, j'ai employé de nombreuses sources d'inspiration historiques plus ou moins digérées et amalgamées. Florence, Venise et Gênes ont fourni des éléments à Ciudalia ; l'ambition d'un Leonide Ducatore relève du césarisme et possède des sources d'inspiration antiques (césarienne et augustéenne), renaissance (Cesare Borgia ou les Médicis), mais aussi beaucoup plus modernes – raison pour laquelle une des épigraphes du roman est de Napoléon Bonaparte. L'ascension du chef charismatique entouré de crapules sans morale est aussi une métaphore de la montée du fascisme : c'est la raison pour laquelle le Podestat s'appelle Ducatore, nom que j'ai choisi entre autres pour sa ressemblance avec Duce, et c'est pourquoi les milices ciudaliennes s'appellent les Phalanges – par référence à la Phalange nationale catholique de sinistre mémoire en Espagne.

Le personnage et narrateur Benvenuto Gesufal est ce qu’on pourrait appeler un anti héros, un criminel sans scrupule au physique assez repoussant qui parvient pourtant à nous émouvoir. Pourquoi avoir choisi un personnage si sombre ?

Ce que j'ai souhaité faire avec Benvenuto, c'est malmener certains clichés sur le forban au grand cœur. J'étais un peu las des poncifs du truand justicier, du repenti qui se rachète une conduite ou du brave type entraîné malgré lui dans une sale affaire : on les trouve dans un certain nombre d'œuvres des littératures de genre. J'y vois une tartufferie de la part des auteurs comme du public : on s'encanaille un peu en s'identifiant à un criminel, mais on ne pousse pas trop loin le cas de conscience en offrant une rédemption au truand. J'ai voulu mettre mon lecteur face à au caractère louche de sa complaisance : je lui ai offert un mauvais garçon authentique, aussi séduisant qu'irrécupérable.

Par simple curiosité, que répondriez-vous aux personnes qui considèrent la littérature de l’imaginaire comme un sous genre littéraire ?

C'est une idée reçue. C'est surtout une sottise de réduire la qualité littéraire d'une œuvre à sa thématique. Penser ainsi, c'est négliger la poétique, et c'est donc ne pas avoir une réelle sensibilité littéraire. Comme dans la littérature dite générale (je ne sais pas très bien ce que cette étiquette recouvre, d'ailleurs), les œuvres appartenant aux littératures de l'imaginaire comportent des textes commerciaux, des ratés et des chefs d'œuvres.

Pour finir, avez-vous des conseils à adresser à ceux qui se lancent dans l’écriture d’un roman, ou bien dans l’aventure éditoriale ?

JPJ : Pour écrire un roman, il faut beaucoup lire, beaucoup écrire et ne pas négliger de vivre. La ténacité est également une vertu cardinale, sans doute plus importante que le talent. (J'ai rencontré des personnes disposant d'un grand talent littéraire, bien supérieur au mien, qui n'ont pas percé faute de volonté.) J'y ajouterai le conseil que Flaubert donnait à Maupassant ; il est tout simple et pourtant lumineux, en particulier en cette période de saturation du marché du livre : « Si on a une originalité, (…) il faut avant tout la dégager ; si on n'en a pas, il faut en acquérir une. Le talent est une longue patience. »
Cette longue patience, on l'éprouve également dans le démarchage des éditeurs quand on a un premier roman à publier. Une carrière d'écrivain est affaire d'entêtement.
 

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